Dans une heure, la soirée qui marquait la fin de l’année scolaire dans la faculté de médecine vétérinaire de l’université que je fréquentais aurait lieu, et comme tous les étudiants de ma branche d’études, peu importe l’année en cours, j’y étais invitée, et j’avais bien l’intention de m’y rendre. La seule chose qui me contraignait dans le temps, c’était ce nouvel emploi d’assistante que j’avais finalement, contre toute attente, réussi à décrocher, et que j’appréciais de plus en plus à chaque jour. Je m’efforçais de faire ce qu’on me demandait, sans faire de requête quelconque, sans rechigner, sauf pour ce soir, je voulais faire une demande à mon patron. Je m’étais préparée pour ce faire, mais malgré tout, je demeurai quand même nerveuse lorsque je frappai discrètement à la porte ouverte du bureau de mon employeur. Tout en m’efforçant de garder un ton de voix et une allure professionnelle, je demandai : « Excusez-moi, Monsieur Grey, je peux vous demander quelque chose ? »

Alors que j’attendais une réponse de la part de mon patron, je me surpris à le fixer sans le vouloir. À vrai dire, je ne le fixais pas, mais je le contemplais plutôt, le trouvant particulièrement élégant, voire même séduisant, même si je ne pouvais pas me permettre d’avoir ce genre de pensée, pas en ce moment. Je tentai de me ressaisir, mais lorsque je l’entendis me dire qu’il était à mon écoute, je me sentis sitôt intimidée, et je sentis le rouge me monter aux joues et j’en oubliai le sens de la parole pendant une seconde. Puis, les mains dans le dos, je commençai à jouer avec mes doigts afin de m’encourager à parler, d’une certaine façon, puis je demandai : « Euh… En fait, je me demandais si je pourrais quitter plus tôt ce soir. Il y a une soirée à ma faculté et j’avais prévu d’y aller… » Je fis une petite pause, puis j’ajoutai, n’ayant pas l’intention de demander de filer comme ça, parce que je jugeais que c’était impoli : « J’ai déjà tout fait ce qu’il y avait à faire aujourd’hui, et j’ai préparé les documents nécessaires à vos rencontres de demain, selon ce qui était écrit dans votre agenda. » Discrètement, je me mordillai la lèvre lorsque j’eus terminé mon discours, attendant une réponse.

Voyant, à ma plus grande surprise, que j’aurais peut-être une chance d’obtenir ce que je voulais, puisque mon patron venait d’accepter de me laisser partir, compte tenu que justement, je m’étais assurée d’avoir tout fait, je ne pus m’empêcher d’avoir un sourire en coin. Heureusement que j’avais fait preuve d’une légère retenue, parce que sinon, ce sourire aurait tôt fait de s’étirer jusqu’aux extrémités de mon visage. Je m’empressai alors de répondre : « Le communiqué est sur la pile de documents. Je vais attendre de voir s’il vous convient avant de partir. Je vais le… » Alors que je m’apprêtais à dire que j’allais chercher le fameux communiqué afin de l’apporter à Monsieur Grey, celui-ci se leva et me prit de court par le même fait. Il s’approchait de plus en plus de la porte tandis que moi, comme une gourde, je ne bougeais pas. La seule chose que je fis, ce fut de reculer d’un pas, comme si je voulais le laisser passer, mais l’espace n’était pas assez grand pour son impressionnante et magnifique personne. Je me retrouvai donc à le considérer, sans rien faire. Réalisant à quel point j’avais l’air idiote au bout de quelques secondes, je me décalai en balbutiant, tête baissée : « Oh, désolée… »

Tandis que mon supérieur continuait sa route une fois que je l’eus laissé passer, je restai immobile, pantoise face à ce qui venait de se passer, comme si je ne le comprenais pas vraiment. De l’extérieur, cela semblait être un incident des plus banals, sans aucune arrière-pensée, mais il n’en restait pas moins qu’au fond de moi, j’en étais à la limite troublée, et j’avais du mal à me ressaisir alors que c’était quelque chose de tout à fait stupide, qu’il ne s’était rien passé de mal, sauf une minuscule bousculade. Perdue dans mes pensées et cherchant à reprendre le contrôle sur moi-même et mes émotions, je sursautai quand j’entendis Cameron me dire que le communiqué était bon, donc je pouvais partir. Je ne me fis pas prier pour le faire, voulant à tout prix cacher mon embarras. Je balbutiai un : « Merci… Merci beaucoup… Et… Bonne fin de soirée… » avant de sortir de l’embrasure de la porte et me diriger vers la sortie, et finalement jusqu’à ma suite pour commencer à me préparer, persuadée qu’une bonne douche, pour débuter, pourrait me changer les idées.

Je passai beaucoup plus de temps sous la douche que je l’avais planifié, tout ça parce que j’avais l’impression que cette douche, cette eau chaude qui me tombait dessus était devenu un petit sanctuaire qui me protégeait de toute chose potentiellement embarrassante comme celle qui venait de se passer dans le bureau de mon patron. Enfin, cela pouvait sembler parfaitement banal comme incident, mais à mes yeux, ce ne l’était pas, et c’était ça qui me troublait le plus, soit le fait que je ne trouvais pas ça banal, que j’en étais à la limite de devenir folle simplement parce que je m’étais retrouvée qu’à quelques centimètres de Cameron, comme si je n’avais jamais été proche de qui que ce soit. Cet incident m’obséda pendant de longues minutes, si bien qu’au bout du compte, je m’efforçai de chasser toute pensée de ma tête, sortir de la douche et commencer à me préparer, sachant que le temps commencerait à me manquer sinon. Justement, parce que j’avais perdu beaucoup de minutes précieuses sous la douche, je dus me contenter de simplement laisser mes cheveux libres descendre en cascades bouclées sur mes épaules et d’un maquillage sobre. Heureusement j’avais opté pour une robe qui allait couvrir ce manque de temps, à savoir une longue robe argentée en voile léger, des chaussures et un sac à main assorti. Me regardant une dernière fois dans le miroir pour m’assurer que l’ensemble était présentable, je pris la clé de ma chambre que je mis dans mon petit sac et j’en sortis afin de me rendre dans le hall d’entrée où je pensais demander un taxi pour me rendre à l’université. Tandis que je descendais les escaliers, je m’interrompis soudainement quand je sentis un regard se poser sur moi, un regard qui me fit rougir et me donna à la fois envie d’aller me cacher ou de courir pour arriver en bas des escaliers, ignorant quoi faire. Plus bas se trouvait mon patron, vêtu cette fois-ci d’un smoking on ne pouvait plus élégant qui le rendait encore plus beau qu’à l’habitude, si c’était possible. Tandis que je le considérais dans cet habit magnifique, je sentis mes jambes devenir aussi molles que du coton, m’obligeant à tenir la rampe pour ne pas tomber par terre. Heureusement, le contact de ma main sur la rampe de bois me fit reprendre mes esprits, et relevant le bas de ma longue robe de ma main libre, je descendis les quelques marches qui me séparaient de Cameron, lui demandant sans réfléchir : « Vous… Vous allez quelque part ? »

Je sentis mon cœur prêt à flancher dans ma poitrine lorsque j’entendis mon patron m’avouer qu’il se rendait à la faculté également, compte tenu qu’il avait une invitation à chaque année. Ce n’était pas le principe en soi qui m’étonnait, puisque c’était soi-disant commun d’inviter des gens qui contribuaient de près ou de loin au développement de l’université, mais que Cameron fasse partie de ces personnes, je ne m’y en attendais pas du tout, et c’est cela qui me choquait le plus, puisque je comprenais que j’allais devoir le côtoyer toute la soirée. Je n’avais pas fini de me sentir troublée par ce qui était arrivé précédemment à l’embrasure de la porte de son bureau ! Il est certain que je pourrais toujours passer du temps avec les amis que je m’étais fait pendant l’année scolaire, mais je ne pourrais certainement pas l’ignorer toute la soirée, puisque j’aurais l’impression de lui manquer de respect, mais surtout, de manquer quelque chose en ne lui prêtant pas attention pendant la soirée. Bouche-bée, je ne sus pas quoi faire d’autre que de lui sourire timidement, histoire de cacher mon air hébété, mais malheureusement, celui-ci revint au galop lorsque Cameron me proposa de m’emmener à la faculté. Moi, dans une voiture seule avec lui – et un chauffeur, mais lui ne joue qu’une tierce partie dans mon histoire !? C’est sûr que j’avais envie de dire oui, mais j’hésitai quand même ; serait-ce bien perçu ? Est-ce que j’allais mettre mon emploi en péril ? Naïvement, je me disais que ce n’était sûrement pas son genre de tendre ce genre de piège. Au final, je fis un petit sourire timide, et je dis : « Si ça ne vous importune pas… J’accepterais volontiers. »