Rose-Isabelle & Savannah

« Non, non ! Merde, pas maintenant ! » Ce juron sortit tout seul de ma bouche tandis que je me dandinais dans la salle de bains pour entrer dans mon short en jean préféré, celui que je portais tout le temps quand je ne travaillais pas, duquel je ne me voyais pas me séparer parce que j’y étais à l’aise comme on était dans un pyjama, sans parler du fait qu’il me faisait des fesses d’enfer comme n’importe quel autre short était capable de le faire. Maintenant à deux mois et demi de grossesse, je n’étais déjà plus capable d’attacher le bouton qui permettait de le faire tenir sur mes hanches parce que le bébé que je portais commençait à se manifester dans le bas de mon ventre et me faisait prendre du poids, à ma plus grande frustration.

Vaincue, je retirai le short et le balançai contre la porte fermée, fâchée. Je savais bien que cela devrait arriver un jour, mais je me disais que ça pourrait attendre encore un peu, histoire que je me fasse à l’idée, ce qui n’était pas encore totalement arrivé. Après tout, j’avais toujours cru que jamais ce moment allait arriver un jour, parce qu’on m’avait toujours dit le contraire; que jamais je ne pourrais porter d’enfant, mon anatomie n’en étant pas capable. Visiblement, dans les minces, très minces chances qui me restaient, c’était arrivé quand même, et je m’en voyais extrêmement chanceuse, même si je ne réalisais pas encore que d’ici sept mois, j’allais être mère, je changerais des couches et je devrais m’occuper nuit et jour d’un petit enfant qui serait ma chair et mon sang, de même que celui de mon petit-ami qui était fou de joie à l’idée d’avoir un bébé depuis que je lui avais annoncé. Moi, de mon côté, j’en étais encore au stade d’être frustrée parce que je grossissais et que je ne rentrais plus dans mes vêtements préférés, comme en ce moment.

Je n’allais certainement pas me laisser faire; je sortis de la salle de bains d’un pas rapide et j’approchai de la commode pour choisir un autre short que j’étais capable de boutonner ainsi qu’un t-shirt ample, comme si j’étais persuadée que tout le monde allait voir que j’avais pris du poids. Je pris mon petit sac qui me servait de sac à main et je me rendis en scooter jusqu’au centre commercial avec la ferme intention d’aller acheter un short tout à fait similaire, à l’exception de sa taille pour que je puisse rentrer dedans ne serait-ce que quelques semaines, le temps de réellement me faire à l’idée. Sitôt arrivée au centre commercial, je me garai à l’entrée la plus proche de la boutique où j’avais acheté mon premier short, considérant que le shopping n’avait jamais été mon fort, de même que de m’arrêter devant toutes les vitrines pour le simple plaisir de regarder, puisque ce plaisir, je ne le partageais pas. Cependant, cette fois-ci, je fis exception sans même le vouloir quand je m’arrêtai soudainement devant la vitrine d’une boutique pour enfants dans laquelle je n’étais pas entrée pour le moment, parce que je n’osais pas le faire, ne sachant pas du tout quoi acheter. Les bras croisés, je restai plusieurs minutes à contempler la vitrine, incapable de déterminer à quoi penser, ni quoi faire.

Rose-Isabelle & Savannah

Pourquoi étais-je soudainement plantée là, devant la vitrine de la boutique pour bébés, comme si c’était la plus belle chose au monde, que j’étais devant quelque chose de tellement excitant que c’était du jamais vu ? J’avais beau me poser la question dans ma tête, me dire que j’étais là simplement pour aller dans la boutique où j’avais acheté mon premier short, acheter la taille au-dessus – ou deux tailles au-dessus avec une ceinture, je ne savais pas encore – et partir d’ici pour retourner au duplex et aller retrouver mon petit-ami, et me convaincre que je n’avais jamais aimé le lèche-vitrines et que je devais m’empresser de faire ma petite course, mais je restais quand même clouée sur place. J’avais beau avoir toute la volonté du monde à me bouger, à faire ça le plus rapidement possible, il y avait quelque chose d’instinctif qui me laissait là, à contempler les divers articles pour bébés annoncés en grand plan pour inciter les gens à entrer.

Assez bien élevée pour ne pas pousser un gros juron en public, je cherchai à comprendre pourquoi je n’arrivais pas à détacher mon regard de cette fameuse boutique, paniquant soudainement quand je pensai avoir deviné ; étais-je en train d’avoir une prise de conscience ? Étais-je en train de comprendre que Chace et moi allions devoir nous procurer plein de ces trucs, voire même plus, simplement parce que nous allions avoir un bébé éventuellement ? Que plus que ça même, je comprenais que justement, j’allais devoir m’occuper d’un enfant sous peu ? Tout ça devenait réellement épeurant tout à coup, considérant que pour le moment, je ne réalisais pas vraiment tout ça, et que j’en étais encore à la phase de pester parce que je grossissais, ne réalisant pas vraiment la beauté de la chose, et surtout la chance que j’avais considérant mon cas. J’espérais seulement le comprendre un jour, mais aujourd’hui, je n’en avais pas envie, ou peut-être que si ? J’en étais presque confuse…

Puis, ces pensées furent totalement balayées de mon esprit lorsque soudainement, j’entendis quelqu’un me demander ce que je faisais à cet endroit. Je secouai la tête et regardai autour afin de voir qui me parlait, surprise de voir mon amie Rose-Isabelle. Tant pis ; faire vite n’était malheureusement plus une option… Je lui fis un petit sourire timide, mais bien rapidement, mon attention se porta instinctivement sur le bébé dans la poussette, comprenant qu’il s’agissait de la petite fille dont Rose-Isabelle devait être enceinte la dernière fois. Wow, cela faisait donc un bon moment que je ne l’avais pas vue ! En fait, ça devait sûrement dater de cette journée à la plage, pendant laquelle elle m’avait justement appris sa grossesse, de même que le fait que le père du bébé la trompait. Au final, elle ne savait sûrement même pas que j’étais enceinte, même pas que je ne devais jamais l’être en raison de ma dite infertilité, puisque je n’avais jamais eu une brèche pour le lui dire. Légèrement embarrassée d’être surprise dans ma contemplation, je dis, un peu nerveusement : « Hey salut… Je suis venue faire des courses, le truc classique… Ça va toi ? »

Rose-Isabelle & Savannah

Voilà maintenant plusieurs mois que je n’ai pas vu Rose-Isabelle, en raison d’une tonne de raisons qui avaient empêché qu’on puisse se recroiser à nouveau, et elle me posait probablement la question la plus délicate qui soit, après ce que je faisais devant cette fameuse boutique pour enfants. Heureusement que ce n’était pas ça d’ailleurs, puisque sinon, je crois que je n’aurais pas su quoi dire, quoi faire, compte tenu que je ne réalisais toujours pas que je pouvais être enceinte, que ça m’était finalement arrivé. Toutefois, cette question bien banale de savoir comment j’allais, il fallait quand même que je trouve quoi répondre, compte tenu que j’étais encore troublée de toutes les réflexions qui m’étaient passées à l’esprit quelques minutes auparavant. Et puis, au fond, je suis bien, quand même ; j’ai un petit-ami super, je vis chez lui, je n’ai plus de nausées depuis quelques jours, pourquoi je me plaindrais pour des détails qui sortent essentiellement de mon imagination décuplée par ces hormones, selon ce que j’ai entendu ? Je ne suis pas à plaindre. Je m’apprêtai alors à lui dire : « Je vais… », mais soudainement, je suis interrompue par le bébé dans la poussette qui commence à chialer. C’est fait exprès, ou quoi ? Je décide donc de faire fi de la question, et je regarde Rose-Isabelle s’occuper de sa fille, elle lui redonne son doudou, sa peluche, et soudainement, la petite cesse de pleurnicher. Comment sait-elle qu’elle doit faire tout ça ?! Jamais je ne serai capable de faire de même ? Et si je me mettais à lui demander de se la fermer, à mon bébé ? Ce serait tout à fait mon genre, parce que je n’avais rien d’une maman gaga. Je savais comment prendre un bébé, mais le cajoler, dire des trucs mignons, ce n’était pas de mon ressort, preuve étant que lorsque mon amie me présenta « officiellement » sa fille, qui s’appelait Romy, comme elle me l’avait déjà dit lorsqu’elle était enceinte, si je me souvenais bien, je ne savais pas trop quoi faire. Je me vois mal lui parler, faire des grimaces, donc du coup, je me contente d’un petit signe de la main avec un sourire gêné.

Franchement, mon instinct maternel n’a rien de glorieux en ce moment, même si je sais, et que je commence à m’en rendre compte que dans quelques mois, j’allais avoir un enfant à moi, comme Romy, sauf que moi, ce serait un petit mec, si on en croyait ma dernière échographie. J’espérais simplement que Chace était meilleur dans les trucs de base pour les enfants que moi, puisque de mon côté, je me verrais bien mal lui apprendre quoi que ce soit, considérant que je n’avais même pas été baby-sitter une fois dans ma vie, sauf pour mon petit frère, et encore là, il avait fallu qu’il soit propre pour que j’accepte de le garder. Perdue encore une fois dans mes pensées, je secouai discrètement la tête lorsque Rose-Isabelle reprit la parole, me parlant soudainement de sa sœur Charlie et de son retour. J’acquiesce d’un signe de tête pour commencer, gardant un air poli, qui devient un peu plus renfrogné lorsque mon amie me demande ce que je faisais à cet endroit précis du centre commercial. Eh merde, je ne pourrai définitivement pas y échapper, sauf si je fais un gros effort. Je pourrais toujours tenter, et lui annoncer ma grossesse quand je réaliserais enfin que j’allais devenir mère, ce qui n’était pas encore le cas. Bêtement, je dis donc, dans un premier temps : « Euh, rien de spécial, j’attachais mon lacet… » Après avoir prononcé cette excuse bidon, je regarde instinctivement mes pieds, que j’arrive encore à voir, au moins, et je réalise que je porte des sandales qui n’ont absolument aucun lacet. Je ne pouvais pas faire pire, comme mensonge ! Embêtée, et surtout très gênée, je balbutiai : « Euh… Pardon, je… », et finalement, je soupirai. Autant lui dire la vérité une bonne fois pour toutes. Je lâchai donc : « En fait, j’suis enceinte, et j’ai pas pu m’empêcher de regarder, voilà… »

Rose-Isabelle & Savannah

J’eus un petit sourire timide lorsque j’entendis Rose-Isabelle me féliciter pour ma grossesse, accompagnant ce fameux sourire par un « merci » légèrement marmonné, mais surtout par un espoir que la conversation n’allait pas s’éterniser sur ce fameux sujet qui ne me mettait pas encore confortable et pour lequel je n’avais jamais été conditionnée à discuter. En effet, je ne me souvenais pas avoir eu l’occasion de le dire à mon amie que les médecins m’avaient toujours dit que jamais je ne pourrais avoir d’enfant, et que je m’étais toujours faite à l’idée que ce serait ainsi, et c’est ce qui expliquait probablement pourquoi j’étais si peu emballée, si peu préparée, et que toute conversation concernant ma grossesse était source de stress. Je ne le réalisais pas encore, et donc, parler de certains éléments comme de vêtements pour enfant ou même de maternité, ça me semblait loin, et c’était trop « maternel » à mon goût, même si je savais qu’un jour ou l’autre, j’allais devoir m’y habituer, ou du moins faire un effort pour entretenir une telle discussion.

Déjà, cette discussion devenait trop « maternelle » à mon avis alors qu’elle avait à peine été entamée. Je ne savais même pas pourquoi, mais les questions de Rose-Isabelle me rendaient nerveuses, alors qu’elles étaient plutôt basiques et auraient sûrement excité n’importe quelle future maman, sauf moi, évidemment. Moi, je ne savais pas trop comment y répondre, je me sentais bête, et je me maudissais d’avoir craché le morceau, parce que justement, je voulais éviter des questions du genre. Cependant, je m’efforçai de considérer les interrogations de mon amie. La première, heureusement, était bien facile, même si j’y répondis avec un ton plus hésitant que je l’aurais voulu en affirmant : « Euh… C’est un garçon… », marquant une pause sitôt que j’eus terminé. Il est certain que la moi bien aisée aurait répondu sans s’arrêter, mais la moi stressée se devait de réfléchir à ses réponses un peu plus que d’habitude. Au moins, la seconde question ne posait pas de doute, et de se fait, je n’attendis pas très longtemps avant de dire, avec un léger sourire à la mention de Chace : « Chace était super content… », ne soulevant toutefois pas que c’est grâce à lui que j’avais pu être heureuse aussi, parce que lorsque j’avais débarqué chez lui avec la nouvelle, j’étais morte de trouille, perdue. C’était lui et son bonheur qui avaient réussi à me faire sentir de la même façon.

En fait, le fait que je sois contente n’était pas là le problème dans tout cela, et en y réfléchissant un peu, je pus dire : « Et moi, j’ai été surprise, je ne m’y attendais pas… », sauf qu’il y avait plus que cela, beaucoup plus que cela, et ça se lisait dans mon visage, j’en étais persuadée. Je me sentais grimacer, hésiter à me confier à mon amie. Ce n’était pas mon genre de chercher du réconfort, sauf dans les cas extrêmes, mais là, j’ignorais si c’était la grossesse ou quoi que ce soit, mais je me sentais encore plus émotive qu’à l’habitude, et sans même le vouloir, je lâchai : « Ça ne devait même pas arriver, en fait… Alors que je me faisais à l’idée que je ne pourrais pas avoir de bébé, ça arrive. Je ne pouvais pas laisser passer ça, mais je ne me fais pas à l’idée… » J’eus un rire ridicule, parce que je sentais que j’allais probablement dire quelque chose d’insultant, mais je ne sus me retenir et j’ajoutai : « Pour le moment, c’est juste une boulette qui me fait grossir quoi… » et après un soupir, je finis en passant ma main dans mes cheveux : « Je sais pas quel genre de mère je vais bien pouvoir faire… »