Comme à presque chaque nuit, Chelsie se réveilla en sursaut à trois heures du matin après avoir fait ce même horrible cauchemar, après avoir revu le pire moment de sa vie en reprise dans sa tête. Au départ, elle avait cru que ce n'était qu'un choc dû au traumatisme que le décès de sa fille avait provoqué, donc elle avait supporté ces songes, mais maintenant, elle n'en pouvait plus. Peu importe où elle était dans le monde, elle n'arrivait pas à passer par-dessus, et cela la rendait complètement folle. Assise dans son lit, elle attrapa son oreiller et se mit à frapper violemment dedans, ne trouvant toutefois aucun réconfort à agir de la sorte. Désespérée, elle posa un geste qu'elle n'aurait cru jamais possible de sa part, à savoir prendre son téléphone portable, composer un numéro au hasard, et le laisser sonner, jusqu'à ce qu'elle tombe sur la boîte vocale de son psychologue, Camille. Soudainement embarrassée, elle lui dit, maintenant hésitante: "Bonsoir Camille... En fait, je ne sais même pas pourquoi j'appelle... Je suis vraiment désolée, j'espère ne pas vous avoir réveillé..." Raccrochant aussitôt son simili-message terminé.

Contrairement à ce qu’elle aurait cru, l’appel téléphonique qu’elle venait de passer ne vint pas du tout la rassurer. En fait, c’était le contraire; elle se sentait maintenant mal aux suites de son cauchemar, mais en plus, elle se sentait mal d’avoir fait une telle bêtise. Ce n’était pas humain d’appeler les gens à trois heures du matin, même quand une personne avait dit qu’il était possible de la contacter à tout moment, comme Camille avait fait avec la jeune femme. Au bord des larmes, elle était sur le point de commencer à pleurer, donc user du seul moyen qu’elle avait trouvé pour tenter de se réconforter un peu et qui ne marchait jamais, quand soudainement, elle sentit un bruit semblable à celui d’un marteau-piqueur miniature qui travaillait sur sa table de nuit. En fait, ce n’était que son téléphone qui vibrait, considérant que pour ses appels, elle avait jugé préférable d’utiliser la vibration, au cas où Madame Jones tenait à la rejoindre pour quoi que ce soit. Cependant, ce n’était pas elle, mais plutôt Camille qui rappelait. Timidement, Chelsie décrocha, entendant la voix du jeune homme à l’autre bout. Cependant, si Camille avait toujours eu le don de rassurer la jeune femme depuis leur première rencontre, cette fois-ci, elle se sentait encore plus nerveuse de lui parler, et d’une voix agitée, elle lui dit : « C’est moi… Je m’excuse, je ne sais pas ce qui m’a pris, c’est parce que… » Je poussai un soupir, jugeant préférable de lui dire la raison de base qui m’avait poussée à agir ainsi, affirmant ensuite d’une voix plus brisée : « J’ai encore fait le même cauchemar… », sentant une larme rouler sur mes joues en même temps.

« Ça va aller », c’était trois mots bien gentils, mais malheureusement, pour Chelsie, dans l’état où elle était en ce moment, elle avait besoin de plus que ça. Ce n’était pas la première fois qu’elle se réveillait ainsi après avoir vécu dans son songe le décès de sa fille exactement comme si elle y était, exactement comme ce qu’elle avait vécu, mais elle avait atteint un point où elle n’en pouvait plus de se réveiller toute seule en criant et en pleurant, et souhaitait mettre un terme à ces nuits horribles qu’elle passait depuis la mort de Kyah. Le seul problème, c’est qu’elle ne savait plus comment faire, elle avait l’impression qu’elle avait épuisé toutes ses ressources. Même la simple idée de parler avec Camille, bien qu’il lui ait proposé, lui semblait totalement dépassée, bien qu’attentionnée, puisqu’elle n’avait pas connu beaucoup de gens qui se seraient réveillés pour la rappeler, professionnellement ou non. Histoire de ne pas dire de bêtises, Chelsie marqua une pause, puis lâcha finalement : « Je ne sais même pas quoi dire… Quoi faire même… J’en ai assez, Camille… » Maladroitement, elle chassa une larme de sa joue, poussant un soupir en même temps.

Chelsie réfléchit un peu à la proposition de Camille ; l’idée n’était pas mauvaise, mais le problème était que la jeune femme ne pouvait se permettre de désigner directement une peluche à laquelle elle tenait, qu’elle pourrait serrer dans ses bras en espérant pouvoir retrouver le sommeil en s’imaginant une présence pour la rassurer, pour chasser ses mauvais rêves. En effet, au moment où son père est parti, la mère de Chelsie avait vendu toutes ses peluches pour s’acheter de la drogue et ne lui en a jamais racheté, comme personne d’ailleurs. Elle n’avait jamais donc su s’attacher à un tel genre d’objet qui était à elle, qui lui appartenait et que personne ne pourrait lui prendre. Cependant, pendant qu’elle réfléchissait à une alternative, elle eut soudainement un pincement au cœur qui la fit éclater en sanglots alors qu’elle se rappelait ce qu’elle avait apporté dans ses valises pour conserver un souvenir de Kyah. En chialant, elle dit : « La seule peluche que j’ai, c’est la sienne… »

Chelsie était à un stade où elle considérait que chacun de ses mouvements, chacune de ses paroles, étaient tout simplement pathétiques. Elle avait cessé de vivre depuis le décès de Kyah, comme si elle était partie avec elle, et continuait de s’enfoncer dans le désespoir de plus en plus à chaque jour, et elle venait d’en avoir une nouvelle preuve en se mettant en pleurer simplement en songeant à la peluche qui avait autrefois appartenu à sa fille qu’elle avait fait adopter, et qui resterait toujours sa peluche, dans sa tête, d’où le fait qu’elle était aussi sensible rien qu’en y songeant. Elle était devenue si misérable qu’elle n’entendit pas Camille lui suggérer de prendre la fameuse peluche avec elle, puisqu’elle était perdue dans ses larmes, dans ses sanglots. Elle reprit un peu de contenance seulement à temps pour entendre le jeune homme lui proposer de venir. Comme si elle pensait avoir mal compris, elle dit : « Où ? Chez moi ? », alors qu’au fond, elle savait qu’elle n’avait pas mal entendu ce que Camille venait de lui proposer. Légèrement gênée par cette idée, même si au fond, elle savait que la présence d’une des seules personnes qui avait su l’écouter et cherché à lui venir en aide pourrait sûrement la rassurer ne serait-ce qu’un peu, elle ajouta, timidement : « Je ne veux rien t’imposer. Tu as déjà été assez gentil de décrocher le téléphone au milieu de la nuit… »

En entendant Camille insister, Chelsie ne sut pas quoi faire l’espace d’un instant. Outre le fait qu’elle culpabilisait de se savoir responsable du fait que le jeune homme ne saurait pas se rendormir alors qu’il devait sûrement travailler le lendemain, elle avait toujours comme idée de ne pas vouloir trop le déranger avec ses problèmes, surtout qu’elle commençait à se dire que peut-être la seule chose à faire, c’était de les assumer, sans embêter qui que ce soit. D’un autre côté par contre, une partie d’elle avait envie que Camille vienne passer du temps en sa compagnie, peut-être même le reste de la nuit, s’il le fallait, même s’il ne restait que quelques heures tout au plus. Finalement, elle se résigna à l’idée, et elle répondit : « C’est d’accord, dans ce cas. » Puis, ne sachant pas s’il avait retenu par cœur son domicile, écrit dans son dossier au cabinet à présent, elle tint à préciser par la suite : « Je suis au Diamond Beach… Appartement 5. », finissant en ajoutant : « Merci beaucoup hein… »

Faisant un sourire surtout pour elle-même, Chelsie ne fit que dire « À toute alors. » avant de raccrocher de son côté. Elle combien de temps cela signifiait pour Camille lorsque celui-ci affirmait habiter non-loin de là où résidait la jeune femme, mais afin d’être certaine de ne pas être prise au dépourvu quand il frapperait à la porte, elle s’empressa de se tirer du lit. Déjà vêtu d’un t-shirt, puisque c’était ainsi qu’elle dormait, elle ne fit que passer un jean et une veste, n’ayant pas envie de se passer un soutien-gorge au milieu de la nuit. Elle fit grossièrement le lit, tirant rapidement les draps et la couette par-dessus le matelas et plaçant les oreillers adéquatement, considérant que ceux-ci avaient pris une raclée lorsqu’elle s’était réveillée en sursaut. Elle venait tout juste de passer rapidement à la salle de bains afin de se pincer les joues pour se donner un peu plus de couleurs et allumer une lampe dans le salon quand elle entendit frapper à la porte, la voix de Camille par-dessus. Quand il disait que ce serait bref, il ne plaisantait pas ! Prise soudainement d’une petite nervosité, la jeune femme se rendit à la porte, l’ouvrit, et servit un petit sourire timide ainsi qu’un petit « Salut… » avant de se décaler pour le laisser entrer.

Sitôt après avoir refermé la porte derrière elle, Chelsie porta son regard sur Camille, sans toutefois s’approcher de lui, trop timide de le faire. En effet, malgré le faible éclairage de la pièce, elle craignait que celui-ci ne voie ses yeux complètement rougies si elle se tenait trop près, sans parler du fait que c’était la première fois qu’elle invitait quelqu’un dans son appartement. Cependant, elle ne put s’empêcher de poser un regard légèrement surpris, qui aurait pu être amusé dans d’autres circonstances, lorsque le jeune homme lui avoua qu’il habitait dans le complexe aussi, à quelques appartements de celui-ci. Elle força alors un sourire, et elle répondit : « Les circonstances, peut-être. Et puis, ça ne fait pas longtemps que je suis ici. » Elle s’interrompit pendant un instant, concluant son propos en disant, sur un ton moins candide : « En réalité, c’est pas vraiment mon appartement, on me l’a prêté le temps que… Je réussisse à prendre l’air… », réalisant par ses propres propos que pour le moment, malgré toutes les bonnes intentions de la mère adoptive de Kyah, c’était un échec pour l’instant.

Chelsie hésita un peu devant les deux questions que Camille venait de lui poser. Ce n’était pas par refus de répondre, mais plutôt parce qu’elle serait qu’elle avait besoin d’un petit temps de réflexion avant de dire quoi que ce soit, comme elle le faisait toujours lorsqu’elle avait des séances de thérapie. Par contre, puisqu’elle n’était pas dans le cabinet de Camille, elle ne voulait pas aussi que cette petite réunion ne se transforme pas en séance de thérapie gratuite, puisque la jeune femme se sentirait réellement mal à l’aise, c’est certain. Malgré tout, elle ne voulait pas manquer d’honnêteté pour autant, et de ce fait, après avoir pensé à ce qu’elle pourrait lui dire, elle affirma, après avoir poussé un petit soupir malgré elle : « Pour être franche, j’ai pas encore cherché à me plaire ici. J’ai surtout cherché à tenter de m’en remettre, sans pour autant oublier Kyah, pare que je ne me pardonnerais jamais sinon. » N’ayant pas oublié la seconde question de Camille, elle s’arrêta un instant, puis reprit en disant : « Pour le moment, j’ai surtout revu des personnes que je connaissais déjà. Ils ont leur vie maintenant, je ne veux pas les déranger avec mes problèmes. Je crois qu’au fond, la personne à qui je tiens le plus que j’ai rencontré ici, c’est toi. » Réalisant trop tard ce qu’elle venait de dire, elle se pinça les lèvres, décidée à ne plus placer un mot, n’osant même pas regarder Camille.

Chelsie se sentit légèrement rassurée par les premiers propos de Camille, compte tenu du fait que jamais elle n’avait vraiment perdu quelqu’un qu’elle avait autant aimé, même si ce n’était pas prévu qu’elle s’attache autant à Kyah, et donc elle ne savait visiblement pas comment réagir, comment faire pour ne pas oublier cette petite fille qu’elle avait aimée comme étant la sienne malgré elle, qui était finalement morte dans ses bras. Cependant, lorsqu’il souleva l’idée qu’il fallait qu’elle se trouve des amis pour l’aider à surmonter cette perte difficile, elle hésita encore une fois, esquissant un sourire triste. Certes, elle était un peu moins embarrassée que précédemment, compte tenu que Camille n’avait pas trop insisté sur le fait qu’elle l’ait désigné comme étant son ami le plus considérant à son égard depuis son arrivée aux Bahamas. Cela restait tout de même véridique, mais Chelsie préféra ne pas s’étaler sur le sujet, affirmant seulement : « Peut-être… » Puis, sur ce simple mot, elle baissa légèrement la tête, n’osant pas raconter qu’en réalité, elle n’avait jamais vraiment eu d’amis, ni même de famille pour la soutenir, sauf la même adoptive de Kyah, qui avait cherché à lui venir en aide à lui prêtant son appartement aux Bahamas. Qu’importe, elle se remit en tête l’idée que Camille n’était pas là pour une séance de thérapie particulière, et changea brusquement de sujet en demandant : « Je suis une hôte vraiment pitoyable. Est-ce que je peux t’offrir quelque chose à boire ? »

Chelsie sentit un frisson lui parcourir le bras lorsque Camille posa sa main dessus, comme si elle venait de recevoir une décharge électrique. Surprise, elle posa même son regard sur les doigts du jeune homme pendant une seconde, peut-être deux, pour comprendre ce qui se passait mais à peine avait-elle eu le temps de tout capter que Camille retirait sa main et s’éloignait un peu, faisant comprendre à Chelsie qu’au fond, c’est qu’elle avait trouvait son contact rassurant, et maintenant qu’il l’avait brisé, elle se sentait légèrement vide, seule. Instinctivement, tandis qu’elle lui répondait : « Merci. » dans un demi-murmure et avec un sourire timide, elle posa sa propre main sur son bras, exactement à l’endroit où celle de Camille était, comme si elle voulait conserver le peu de chaleur humaine que ce contact lui avait procuré. Elle planta son regard dans celui du jeune homme quand celui-ci lui répondit, et se surprit à rougir quand Camille lui dit qu’il ne saurait pas trop quoi lui demander à boire. Elle haussa alors les épaules et dit : « Mise à part du lait, je ne vois pas non plus, à vrai dire. », se surprenant à laisser échapper un petit pouffement de rire tellement elle se sentait ridicule, tout à coup.

Chelsie ne sut pas vraiment comment réagir lorsqu’elle se rendit compte que non seulement Camille ne semblait pas lui tenir rigueur sur le fait qu’elle avait commencé à rigoler sans aucune raison valable, mais en plus, il lui fit remarquer que la voir sourire ainsi lui faisait plaisir, ce qui eut pour effet de l’intimider un peu plus. S’efforçant de lui faire un sourire gêné, elle choisit au final de ne pas passer de commentaire, soulagée d’entendre le jeune homme lui demander d’avoir un verre de lait, tirant la demoiselle d’un embarras assuré et ce, de façon probablement très involontaire. Plutôt que de revenir sur son gloussement, elle put alors acquiescer et se rendre à la cuisine afin de prendre deux verres, verser du lait dedans, ranger le carton et revenir au salon, tendant un des deux verres à Camille en lui disant : « Voilà. », s’interrompant dans son geste en réalisant la proximité avec laquelle elle se retrouvait soudainement du jeune homme, considérant qu’elle avait voulu ne pas lui donner à une trop grande distance, compte tenu de la faible lueur qui éclairait la pièce.

Encore une fois, Chelsie se sentit toute drôle lorsque ses doigts rencontrèrent ceux de Camille pour lui donner le verre. Pourtant, elle n’en était pas à sa première fois à rencontrer les doigts de quelqu’un pour prendre quelque chose ou à l’inverse, lui donner un item, et jamais elle ne s’était sentie bouleversée par ce genre de geste considéré comme quotidien. Pourquoi c’était ainsi avec le jeune homme ? Elle n’en savait rien, mais cela la chicotait réellement, si bien qu’une fois que Camille eut son verre en main, Chelsie ne put s’empêcher de reculer un pas afin de laisser une distance dite raisonnable entre les deux, puis après avoir répondu timidement « De rien. », elle s’empressa de prendre une première gorgée de son verre, histoire de trouver une excuse au fait qu’elle ne savait pas vraiment quoi rajouter. Profitant pendant un moment du bien-être juvénile que ce breuvage lui procurait, elle finit par reprendre suffisamment confiance en elle-même pour regarder Camille à nouveau, et ne put s’empêcher de pouffer quelque peu de rire une nouvelle fois en remarquant quelque chose dont elle lui fit part avec un petit sourire immature en lui affirmant : « Tu as une moutache… »